Publié le 01.05.2023

Avantage d’être une femme artiste : s’évader du monde de l’art en ayant quatre petits boulots

Théâtre du Grütli, Genève

Lamya Moussa nous propose une pièce composée d’une série d’expériences vécues dans le milieu de l’art, dénonçant avec dérision le sexisme institutionnel qui y est à l’œuvre. Que retenir de cette première création de la jeune artiste ?

©Neige Sanchez – Lamya Moussa évoque le travail dégradant et sous-qualifié d’assistante, après l’obtention d’un diplôme en arts
©Neige Sanchez – Lamya Moussa évoque le travail dégradant et sous-qualifié d’assistante, après l’obtention d’un diplôme en arts

Le mythe du génie créateur, cet homme blanc doté d’un don artistique à la naissance, et incompris de ses contemporains, a encore la dent dure aujourd’hui. Depuis plus de cinquante ans, de nombreuses féministes posent la question du sexisme institutionnel dans le monde de l’art, à l’instar du célèbre aphorisme des Guerilla Girls : « Do women have to be naked to get into the Met. Museum ? » Alors, à quand une vraie remise en question des représentations de genre dans les milieux artistiques ?

Avec humour et finesse, l’artiste Lamya Moussa présente une série d’anecdotes sur la question, dans une performance jouée du 25 au 30 avril au théâtre du Grütli. Créée en 2021 pour le Théâtre de l’Usine, la pièce est cette fois présentée dans le cadre de la onzième édition de C’est déjà demain, un festival cherchant à promouvoir les premières productions de jeunes créateurices. Lamya Moussa, diplômée en arts visuels à la HEAD en 2014, questionne la place des artistes femmes dans l’industrie artistique en racontant quelques expériences vécues personnellement.

©Neige Sanchez – L’artiste utilise la vidéo dans une triple installation : elle parle face à une caméra, dont l’image est retransmise directement sur deux écrans
©Neige Sanchez – L’artiste utilise la vidéo dans une triple installation : elle parle face à une caméra, dont l’image est retransmise directement sur deux écrans

« Bonsoir, vous voulez un café ? » Coiffée d’une perruque blonde et parée d’un costume criblé de ces mêmes perruques, la performeuse, telle un robot, nous accueille en répétant cette phrase, transmettant d’emblée le caractère aliénant du métier.

S’enchaînent ensuite une série d’anecdotes, avec pour point de départ son expérience comme performeuse (ou plutôt stagiaire, comme elle le note avec ironie) pour Paul McCarthy, artiste plasticien à l’œuvre provocatrice. Chaque jour, les performeuses, coiffées de perruques blondes, avaient pour mission de créer des plugs anaux en chocolat sous l’œil voyeur des spectateurices. Drôle ? Laura Mulvey, théoricienne du male gaze, aurait de quoi se retourner dans sa tombe. La position dominante d’un homme blanc, qui plus est reconnu, sur un groupe de jeunes femmes qui cherchent depuis peu à entrer dans le milieu artistique, a également de quoi donner envie de répondre « non » sans détour.

Et pourtant, c’est l’humour qui est choisi par Moussa pour décrire ces évènements. Entre le critique qui lui déblatère sa vie et qu’elle compare à de l’herpès, ou encore l’imitation caricaturale des tables rondes, la pièce a parfois l’allure d’un one-woman-show. Alors, l’humour, stratégie de dénonciation ou mécanisme de défense ? Sûrement un peu des deux. Et ça marche.

Disons-le clairement : il faut que ça bouge. Allez, allez, ce n’est pas si compliqué que ça de valoriser le travail des femmes artistes, et d’exposer Picasso ou Warhol avec un accompagnement didactique pour le public, n’est-ce pas ? Non, l’art n’existe pas en dehors des réalités sociales et économiques ! Non, l’art n’existe pas comme une bulle hors-temps et hors espace, et non, l’Art avec un grand « A » n’existe pas ! La dénonciation des mécanismes de domination masculine dans les institutions artistiques est nécessaire, et des propositions comme celle de Moussa, on en veut plus.

©Neige Sanchez – Un texte est déroulé sur des pas de danse entraînants
©Neige Sanchez – Un texte est déroulé sur des pas de danse entraînants

Seul bémol : l’artiste ne provient pas du milieu de la scène, et ça se sent. La diction manque parfois de fluidité. Mais, au vu de l’implication de Moussa sur scène, et du travail évident fourni en amont, il apparaît certain que l’expérience ne manquera pas de gommer ces imparfaits. Surtout que le reste y est : travail bien dosé avec la vidéo et le texte, appropriation de l’espace scénique, idées originales en veux-tu en voilà…. Tout en restant clair et accessible.

Au fait : le confessionnal et les kebabs tournants sur fond de plug vert, on a adoré, et on se réjouit de les retrouver dans la prochaine production de l’artiste à l’automne, au Théâtre de l’Usine, dans laquelle elle développera cette thématique des télé-réalités. Le sujet parfait pour continuer à nous faire rire tout en nous faisant réfléchir. On se réjouit !